Le Musée de la nacre et de la tabletterie


Une tradition ancienne à Méru : la tabletterie


La région de Méru, au Sud du Bassin picard, a été marquée par la pratique intensive de la tabletterie qui en est longtemps restée l’activité économique prépondérante. L’industrie tabletière consiste en la fabrication d’un panel d’objets utilitaires ou d’ornementation couvrant divers domaines d’application : accessoires du costume, objets pieux, pièces de jeux, arts de la table, bijouterie, lunetterie, lutherie, ustensiles pour la dentisterie, la couture, les soins du corps, etc. Ces objets si divers ont pour points communs d’être produits à partir de matières premières plus ou moins précieuses mais toutes naturelles et issues de substances organiques : os, bois, corne, nacre, ivoire, écaille…

Dès le 17ème siècle, le travail est apporté par les marchands parisiens qui trouvent à proximité de la capitale une main d’œuvre habile et peu coûteuse. Dans un premier temps, la tabletterie y fut pratiquée à la morte saison. Elle servait de complément de revenu à ces paysans improvisés ouvriers à façon. Le phénomène s’amplifia ensuite jusqu’à proposer du travail à temps plein. Bien que souvent touchée par les récessions économiques, la tabletterie conserva à Méru une implantation vivace. Au cours du 19ème siècle, elle s’industrialisa et produisit en masse pour l’exportation, aidée en cela par l’avènement des transports, ferroviaires notamment. C’est à cette époque que la ville prend le surnom mérité de « capitale mondiale du bouton de nacre ». La fabrication de boutons est une des spécialités de la tabletterie qui se divisa à la fin de ce siècle en deux branches : d’une part persistait la tabletterie traditionnelle, attaché au travail de qualité, et d’autre part émergea une nouvelle forme de production plutôt quantitative, intéressée par le rendement.

Cependant la vogue des articles de luxe finit par décliner et seule l’industrie du bouton parvint plus ou moins à trouver des débouchés au 20ème siècle qui vit toutefois s’éteindre l’une et l’autre de ces industries. Les problèmes d’approvisionnement en matières premières, la concurrence des pays étrangers et l’apparition du plastique sont les principales causes de cette extinction. Pourtant, la tabletterie avait connu des heures de gloire. En 1909, elle faisait vivre à Méru et aux alentours plus de 10 000 personnes auxquelles peuvent s’ajouter les effectifs des industries parallèles spécialisées dans le cartonnage ou la construction de machines-outils pour boutonniers par exemple. De cet essor ne subsiste plus que des souvenirs qu’il devient urgent de préserver. La mémoire de la région est riche de ce passé industriel et le musée de la nacre et de la tabletterie l’a mis à l’honneur en reconstituant dans ses locaux, l’ancienne usine Dégremont, deux ateliers de production.

 L’usine Dégremont : un lieu de mémoire et de transmission

L’édifice, entouré d’une série de bureaux, de magasins, de hangars de stockage et d’une écurie, faisait partie d’un immense complexe dont M. Fessart, marchand de nacre, bois et teinture en gros, initia la construction en 1859. Achevée en 1887, l’usine resta dans sa famille jusqu’en 1892, date à laquelle M. Dégremont en fit l’acquisition. Après 1920, sous l’appellation « Industrie méruvienne », ce complexe changea plusieurs fois de main. Les établissements Desmarest s’y installèrent en 1965 mais ne s’en servirent que comme entrepôt. Le bâtiment ferma ses portes en 1972 pour ne les rouvrir qu’en 1999, cette fois en tant que musée. Entre temps, il avait été inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques et des Sites.

L’usine Dégremont est un exemple typique de grande installation née de la révolution industrielle. Dans son manteau de briques, le bâtiment central rappelle l’architecture des manufactures de textile du Nord de la France. Il avait la capacité d’accueillir une centaine d’ouvriers sur ses 1200m2. Le fonctionnement des ateliers était permis grâce à une machine à vapeur située au centre du bâtiment principal. Elle-même était actionnée par la force de la vapeur produite dans une chaudière dont il ne subsiste que la cheminée.

La reconstitution d’une partie des ateliers avec des machines d’époque est une des originalités du musée de la nacre et de la tabletterie. L’objectif est de commémorer les aspects techniques et sociaux de la tabletterie dans leur contexte originel.

La fabrication de dominos et de boutons y prend toute sa dimension. Qui pourrait imaginer combien d’étapes sont nécessaires pour produire ces objets devenus depuis longtemps si familiers et dans quelles conditions cela pouvait se faire ? Le musée s’est donné pour mission de sauvegarder et de transmettre le savoir-faire régional en poursuivant une production et en intégrant les ateliers à sa visite.

Un atelier voué à la fabrication des boutons

Dans son atelier reconstitué actionné par une véritable machine à vapeur, le musée de la nacre et de la tabletterie met en scène les étapes traditionnelles de fabrication d’un bouton en nacre.
La nacre est une matière fragile, sa transformation réclame du temps et un œil averti. On ne recense pas moins de dix-sept étapes principales sans compter les opérations annexes comme les nombreux tris successifs. Pour résumer, les pions devaient être extraits de ces coquillages nacrés à l’aide d’un tour à découper refroidi à l’eau. Ensuite, l’écroûtage était une étape essentielle. Il fallait meuler le pion afin de lui ôter sa croûte (celle du coquillage) et de « redresser » sa surface.

Le méchage était une autre opération de tournage qui consistait à donner au pion sa forme en relief, la plus commune étant celle du bouton dit « bourrelet ». Le gravage n’était pas systématique. Seuls les boutons de qualité étaient gravés. Le perçage demeure l’étape la plus importante car c’est elle qui change réellement le pion en bouton. Un ponçage, cette fois au tonneau de bois avec de l’eau et une ponce très fine, permettait d’effacer les rayures laissées par les outils et d’arrondir les arrêtes du boutons, si vives qu’elles risquaient sans cette passe de casser le fil de la couturière. Puis les boutons étaient rincés à l’eau claire et polis dans un autre tonneau de bois rempli d’eau bouillante additionnée d’acide chlorhydrique. Cette opération avait pour but de faire ressortir l’orient de la nacre (son chatoiement). Enfin, dans un dernier tonneau, le polissage des boutons à la sciure et à la pâte à polir permettait après plusieurs heures d’obtenir le lustre escompté. Ils pouvaient également être teints ou blanchis. Pour finir, les boutons étaient triés et classés selon trois choix. Les boutons de premier choix étaient les boutons de qualité supérieure. Ils étaient encartés, c’est-à-dire cousus sur des cartons parfois munis d’un paillon (feuille métallisée). Les boutons de deuxième et troisième choix étaient présentés en vrac et revendus respectivement pour le prêt-à-porter et sur les marchés.
L’industrie du bouton a généré une incroyable quantité de déchets. Autrefois, les rebuts de matière (morceaux de coquillages découpés, vermoulus, cassés, les pions et boutons comportant des défauts) étaient réutilisés comme remblai, c’est pourquoi ils jonchent encore de nos jours les terres de toute la région.

 

L’atelier du dominotier

L’atelier de production de dominos traditionnels en os et ébène a été réaménagé à l’image de celui de M. Tartare, découpeur d’os et perceur de dominos des années 1940 à 1970.

On compte vingt-huit étapes pour faire un domino, autant qu’il y a de pion dans un jeu. Pour commencer, les os du pied arrière (métatarse) de bœuf étaient nettoyés avant d’être découpés à l’aide d’une scie circulaire jusqu’à obtention d’une plaquette à la bonne dimension. Celles-ci étaient blanchies à l’eau oxygénée et collées sur des plaquettes d’ébène avec une colle de poisson. Une fois assemblées, leurs côtés étaient égalisés avant que ne soit tracée la raie centrale qui était ensuite colorée avec du noir de fumée mélangé à de la colle de poisson. Intervenaient alors la pose de rivets en laiton et d’un pivot central, ainsi que le biseautage des arrêtes des dominos. Enfin après un polissage, ils étaient percés et mouchetés. Le perçage s’effectue sur un touret, à l’œil. Le mouchetage consiste à noircir les trous un par un.
Tous ces gestes sont encore pratiqués au musée de la nacre et de la tabletterie où ils sont commentés lors des visites guidées.

 

Des collections prodigieuses

Les amateurs de beaux objets ne sont pas lésés au musée. Outre les deux ateliers de production, la salle d’exposition permanente recèle de nombreux trésors. Chacun d’entre eux est mis en valeur soit dans un meuble de curiosité très ludique, soit dans le sublime hémicycle dit « salle des éventails », qui sont autant d’écrins surprenants. Le musée sait charmer son public, petits et grands en ressortent les yeux ébahis, la tête pleine de rêves et avec peut-être aussi quelques dominos ou boutons dans la poche, achetés dans la boutique de souvenirs qui propose aussi de magnifiques bijoux aux reflets nacrés.

 

Renseignements pratiques

Horaires de visite : 15h, 16h, 17h, tous les jours de l’année sauf les mardis, le 25 décembre et la première semaine de janvier.
Boutique en accès libre, ouverte de 14h30 à 18h30 les jours d’ouverture du musée.
Tarifs : 7€ l’entrée pour les adultes, 3,50€ pour les enfants (6 à 16 ans) et pour les étudiants.
Informations complémentaires, réservation pour les groupes : 03 44 22 61 74
Musée de la nacre et de la tabletterie
51 rue Roger Salengro
60110 Méru
Tél. : 03 44 22 61 74
Fax : 03 44 22 07 52
Courriel : musee.nacre@wanadoo.fr
Site web : www.musee-nacre.com